mardi 30 décembre 2008

la grande aventure du chevreuil ou une histoire de grand-mère, de chasse, de soeurs et de héros


Un jour vous êtes chez votre grand-maman, avec votre soeur. La grand-maman qui n'aime pas qu'on l'appelle comme ça, alors on lui dira A., dont la cuisine c'est pas trop le truc, sauf quelques recettes historiques ou polonaises, par sentiment, dont le truc ce serait plutôt les livres dont elle faisait son métier, les cigarettes même si là elle n'a plus le droit, les sorties entre filles, ses jeunettes de copines de soixante-cinq ans, ses petites-filles de vingt à trente, se connecter au monde via internet aussi, et j'en oublie...

Donc un jour vous êtes chez A. avec votre soeur ; et là elle dit : "toi qui aimes cuisiner, tu aimes la chasse ?"
Vous répondez "euh, ben oui, j'adore ça" et votre soeur en rajoute parce qu'elle aussi.
Et donc, A. sort un immense sac en plastique tout dur de son congélateur, et dit "alors prenez-ça, c'est mon docteur qui chasse, il me l'a donné, prenez-le pour vous. C'est un chevreuil je crois."

On s'entend : le sac est immense, mais clairement, il ne contient pas un chevreuil. Mais un bon bout, tout de même. Ou alors pas mal de glaçons. Enfin, on y verra plus clair après décongélation.

Vous rentrez au bord de votre lac, vous prenez les agendas, trouvez un dimanche soir de décembre libre pour les quatre convives (les soeurs et leurs chéris), et vous répartissez les rôles : la betterave s'occupera de la viande, le chéri de sa soeur de ce qui a autour. Vous ferez finalement les choux de bruxelles et les marrons ensemble, le soir-même.

D-Day - 2, vous sortez le sac du congélateur. Le laissez une nuit dans son évier, puis encore une journée dans son frigo. Un peu inquiète de la suite des opérations, vous envoyez un petit mail à A. pour en savoir plus sur l'animal. 

"Je pense que la viande est du chevreuil, mais alors, il me l'a donnée déjà congelée, donc, je n'ai aucune autre indication. Je crois (mais seulement je crois) que ce sont des morceaux, pris dans la cuisse, mais en fait je n'en sais rien. Je te dis ça parce qu'il m'en avait donné comme ça. Avant de la cuire sens-la, avec le nez, car cette chasse n'est pas très faisandée. Mon médecin tue son chevreuil, le vide en forêt, le ramène à la maison pour lui ôter la peau (je te passe les détails si tôt le matin) puis la coupe et la congèle, c'est presque de la viande fraîche...
Tu me diras."

Ouille ouille ouille. Aïe aïe aïe. Là, vous flippez un peu, vous qui côté viande, vous arrêtez habituellement aux tajines, émincés voire au poulet rôti...

D-Day - 1 vous étudiez le morceau attentivement, avec l'aide de votre chéri. Après avoir passé douze heures à surfer après des recettes de cuissot de chevreuil, vous constatez que finalement :
1) ce ne sont pas des morceaux mais bien un gros bloc avec os
2) ça a plutôt l'air d'une épaule, malgré vos faibles connaissances en anatomie des cervidés

Vous repartez alors pour un tour de surf, et développez à une vitesse fulgurante vos connaissances animales et forestières. Chasseurs à l'arc, cuisinières courageuses, vous êtes plus que jamais ravie de l'invention d'Internet. Le cuissot de chevreuil s'appelle aussi une gigue, se cuisine en un morceau, par contre l'épaule se fait plutôt en ragoût, mariné, ou pas, et souvent, ce sont les chasseurs eux-mêmes qui cuisinent parce que leurs femmes disent qu'ils n'ont qu'à assumer jusqu'au bout... 

Assumer, assumer on y est. Va falloir y aller. Mais là, vous n'assumez pas en fait. 

Alors votre chéri, qui est un héros, prend le couteau pour transformer la chose rouge et odorante en morceaux. C'est un peu gore. Assez régulièrement, vous quittez la cuisine pour respirer un bol d'air et regarder ailleurs. Vous espérez que vous ne serez pas trop dégoûtée et êtes assez contente de cette histoire de marinade de 24 heures qui vous permettra de vous réconcilier un peu avec cet animal en morceaux...

Vous préparez votre marinade et mettez tout ça au frigo. Finalement, vous invitez d'autres amis à se joindre à vous, parce qu'il reste tout de même quasi deux kilos de viande...

D-Day, vous préparez une tarte au vin cuit pour le dessert. Votre soeur et son jules arrivent avec plein de petites boîtes en plastique contenant des choses succulentes. Poires au vin, chou rouge aux épices, confitures d'airelles, lui aussi est un héros.

Le soir, vos amis vous rejoignent, et vous dégustez tous les six une excellente chasse dont vous êtes extrêmement fière. Vous finissez tard dans la nuit, avec des voisins qui sont passés par là en rentrant, et une excellente bouteille de damassine.


Pour une épaule de chevreuil en morceaux, qui faisait 2.2 kilos avec son os :

- 1 bouteille de vin rouge bon mais pas luxe (moins les deux verres dont vous avez bien eu besoin pour l'étape du découpage)
- 2 oignons
- 2 carottes
- 4 feuilles de laurier
- 8 grains de poivre écrasés grossièrement
- 1 cs de thym séché
- 4 clous de girofle
- une dizaine de baies de genièves
- 1 dl de vinaigre de vin rouge
- 3 gousses d'ail

Epluchez les carottes et les oignons, coupez les en dés grossiers, épluchez l'ail et coupez les gousses en deux. Mélangez tous les ingrédients, ajoutez-y la viande, laissez mariner au frais vingt-quatre heures.

Le lendemain, retirer les morceaux de viande, les éponger au papier ménage. Les faire sauter dans une poêle de chaque côté, les fariner, remuer, et transférer dans une cocotte.

Filtrer la marinade, faire chauffer le jus dans une casserole.
Une fois chaud, le verser dans la viande. Laisser cuire à feu doux, deux heures.



Servir avec une ribambelle de ces accompagnements qui font le plaisir de la chasse, en décembre aussi. Poires cuites en douceur au vin rouge, choux de bruxelles juste cuits mais toujours croquants, châtaignes doucement poêlées au beurre et au sucre roux, et les fameux choux rouges épicés de mon beau-frère. 

Et des spätzli, bien sûr, que nous avons achetés frais mais déjà faits, mais si vous voulez vous lancer, claude-olivier propose ici une recette maison.


lundi 15 décembre 2008

un plat réconfortant : saucisson vaudois, lentilles canaille

La betterave a pris du retard sur son blog ces derniers temps ; le mois de décembre est chargé chez tout le monde, chez la betterave il l'est particulièrement lors du premier week-end, en raison d'un certain festival qui l'occupe à cette période-là. Depuis plus de deux semaines, c'est deux pauvres oeufs cocotte qui occupent la page d'accueil... il est temps de se reprendre !

Pour remettre en forme une betterave particulièrement fatiguée, mais qui doit tout de même terminer l'année, tenir jusqu'aux Fêtes, il faut du reconstituant, du solide, du local. Comme par exemple un beau saucisson vaudois, et ses petites lentilles un peu piquantes...

Le saucisson vaudois ?

Ben, c'est un saucisson du Pays de Vaud. Le Pays de Vaud connaît deux sortes de saucisses à cuire en hiver : la saucisse aux choux, qu'on mange traditionnellement avec le fameux papet vaudois, une sorte de bouillie poireaux-pommes de terre qui connaît autant de recettes que de cuisiniers, et le saucisson vaudois, qui peut aussi se manger avec le papet, mais pas seulement. C'est un gros saucisson à cuire, que l'on coupe en tranches avant de le servir, que l'on peut manger chaud, ou froid.

Le mien est fait par les paysans qui cultivent mes légumes hebdomadaires. Et accompagné de lentilles presque locales (elles sont genevoises, soit du canton d'à côté). L'élément le plus exotique de la recette est ma merveilleuse moutarde au pain d'épices, ramenée de Dijon par des amis. Une moutarde en grains, au fin goût de miel, fruitée, légèrement épicée. Comme j'imagine bien qu'elle ne court pas forcément dans tous les placards, vous pouvez la remplacer par une autre moutarde en grains, avec une touche de miel ; l'idée étant d'utiliser une moutarde plutôt douce pour le plat, et d'avoir sur la table une bonne moutarde bien forte, dont chacun se servira selon son palais.

Pour 2 à 3 bientôt reconstitués :

- 1 beau saucisson vaudois
- 180g lentilles vertes (type du Puy)
- 1 oignon
- 4 grandes carottes
- 3 cc de moutarde en grains au pain d'épices
- 1 feuille de laurier
- 2 gousses d'ail
- piments séchés / peperoncini
- 1 tombée de crème (facultatif)
- sel, poivre, moutarde forte

Piquer le saucisson vaudois aux deux bouts, en laissant les cure-dents. C'est juste pour éviter qu'il éclate. Mettez-le dans une casserole d'eau froide, portez à ébullition. Laissez cuire 50 minutes, eau frémissante.

Rincez vos lentilles, faites bouillir de l'eau, jetez-y une feuille de laurier. Ajoutez les lentilles dans l'eau bouillante, laisser cuire sur feu moyen une trentaine de minutes. Les lentilles une fois cuites doivent rester croquantes mais toutefois s'écraser entre vos doigts. Egouttez-les, retirez la feuille de laurier.

Emincez l'oignon, faites-le revenir dans une poêle. Lorsqu'il dore, ajoutez-y deux gousses d'ail pressées, trois pincées de piments séchés (ou plus, les miens sont très forts). Coupez les carottes en dés, ajoutez-les aux oignons, ainsi que 2dl d'eau, faites les revenir jusqu'à ce qu'elles soient cuites mais pas trop.

Ajoutez aux légumes la moutarde en grains, remuez, puis les lentilles. Laissez réchauffer, affinez éventuellement avec une tombée de crème.

Retirez le saucisson une fois cuit de son eau, découpez le en tranches, disposez 3 ou 4 tranches avec chaque portion de lentilles.

Servez avec une petite salade croquante, par exemple de pourpier, ces délicieuses petites feuilles acidulées.